De nouvelles procédures de mise en douane et de déclaration en détail des marchandises importées ou présentées à l’exportation ont été mises en place le 10 juillet 1908 par le comité permanent des douanes. Ce comité avait été institué par l’article 97 de l’acte général de la conférence d’Algésiras. Ce comité permanent dit ”comité des douanes” qui siégeait à Tanger se composait d’un commissaire spécial du Sultan, d’un membre du corps diplomatique ou consulaire et d’un délégué de la Banque d’État. Ledit comité regroupait également, à titre consultatif, des représentants du service des douanes. La nouvelle réglementation préconisa de nouvelles formalités pour les opérateurs du commerce international.

1/ procédures à l’importation :

Ainsi, la mise en douane fut matérialisée par le dépôt d’une copie certifiée conforme du manifeste. Ce document aussitôt déposé était remis par les soins des oumana à un commis des douanes chargé de sa garde. Ce dernier devait procéder à l’inscription du document sur un registre spécial défini par le nouveau règlement. Le même numéro est porté sur le manifeste à titre de numéro d’enregistrement. Un modèle de déclaration en détail a été également défini. Dans la colonne réservée à la désignation des marchandises, les importateurs devraient énoncer l’espèce, la qualité, le poids, le nombre, la mesure et la valeur des marchandises en toutes lettres. La déclaration en détail était remise au même commis qui gère le manifeste pour enregistrement et apurement.

Après enregistrement de la déclaration en détail, ce document était pris en charge par l’amine des douanes. Après vérification, l’amine procédait à la liquidation des droits et taxes sur le corps même de la déclaration, ce qui constituait une innovation procédurale par rapport à la gestion antérieure des oumana qui préconisait l’établissement de fiches distinctes d’estimation.

Après liquidation et visa du contrôleur du service de la dette, les droits et taxes à percevoir étaient inscrits sur un registre dit ”registre de liquidation des droits” (modèle 4 du règlement). Ce registre tenait lieu de youma4. Un relevé sommaire et journalier de ce registre était établi en double exemplaire. Le premier exemplaire était transmis au service central des douanes. Le second exemplaire était remis à l’agent du service de l’emprunt à la résidence. Quant à la déclaration en détail, elle était remise à l’importateur qui l’échangeait à la caisse, après paiement des droits contre une quittance.

Les oumana n’avaient plus à établir les fiches d’estimation qu’ils dressaient en triples expédition et qui devenaient inutiles puisque la liquidation des droits était inscrite désormais sur la déclaration elle-même.

A la fin de la journée, les déclarations enregistrées liquidées et apurées devaient être remises par le caissier à l’agent du contrôle et des statistiques. Elles étaient en fin de l’opération dépouillées et classées aux archives par les soins du même agent.

2/ Procédures à l’exportation :

a) L’exportation en simple sortie :

La même procédure instaurée pour les marchandises importées était appliquées au niveau de l’export. Les formules de déclarations en détail (formule 5 du règlement) et le registre d’inscription des droits et taxes (modèle n° 6) étaient toutefois différents de ceux utilisés à l’importation. Une procédure d’apurement du manifeste à l’export était instauré. L’agent des douanes chargé de l’enregistrement des manifestes et des déclarations devait s’assurer par un pointage que toutes les marchandises ayant fait l’objet d’une déclaration figuraient sur le manifeste de sortie et que ce document ne comportait aucune marchandise qui n’ait fait l’objet d’une déclaration de sortie.

b) Le cabotage :

Les marchandises non soumises au droit d’exportation et transportées d’un port à un autre port sous douane au Maroc devraient être accompagnées d’un passavant établi en double exemplaires (modèle 7 du règlement) sous peine d’être assujetties au paiement du droit d’importation au port de destination. L’exemplaire original était conservé par le bureau de départ pour les statistiques. Le duplicata était remis au bureau de douane d’arrivée pour l’octroi de la franchise. Pour les produits soumis au droit d’exportation, le transport par cabotage ne pourrait s’effectuer qu’après consignation au bureau de départ contre quittance détachée d’un registre à souche spécial (modèle 8 du règlement), le montant des droits d’exportation relatif à ces marchandises. Le remboursement de la consignation s’effectuait au bout d’un délai maximum de trois mois.

c) Le transbordement :

Le transbordement des marchandises étrangères entreposées dans un bureau de douane pouvaient être également acheminée vers un autre bureau sous couvert d’une déclaration de transbordement. Les marchandises réexportées à l’étranger suite à un refus de réception du destinataire devaient faire également l’objet d’un permis de transbordement délivré par les oumana des douanes (modèle 10 du règlement).

 



3/ Assiette des droits et taxes :

De nouveaux procédés de détermination de la valeur taxable ont été également introduits dans la nouvelle réglementation. La valeur des principales marchandises était fixée par la commission des valeurs créé par l’article 96 de l’acte d’Algésiras. Ces valeurs étaient publiées annuellement sous forme d’un tableau et servaient comme assiette des droits et taxes en douane.

Pour les marchandises ne figurant pas sur le tableau, l’amine des douanes pouvait, comme par le passé, utiliser les mercuriales, les factures ainsi que tout élément porté à sa connaissance personnelle. Des circulaires périodiques, émanant du contrôle de la dette, sollicitaient les avis des oumana en l’objet. Ainsi peut-on noter dans la circulaire 86 du 21 août 1911 adressée aux oumana des douanes ” la commission des valeurs douanières devant se réunir dans la première quinzaine du mois d’octobre pour procéder à la révision des valeurs, nous vous prions de nous adresser le plus tôt possible un état mentionnant les modifications qu’il vous semblerait utile d’apporter aux valeurs actuellement appliquées dans les douanes.

Vous établirez vos propositions en tenant compte des différences que vous auriez pu constater entre les prix fixés par le tableau en cours et ceux pratiqués sur votre place.


En règle générale, la valeur retenue devait correspondre au prix de gros de la marchandise rendue au bureau de douane et franche de droits et de taxes de magasinage. En cas d’avarie, il était tenu compte, dans l’estimation, de la dépréciation subie par la marchandise. Le nouveau règlement de 1908 avait consacré le principe du paiement des droits et taxes en nature. Ainsi, les oumana qui pouvaient accepter ce mode de paiement étaient désormais tenus d’en faire inscription sur un registre spécial (modèle 11 du règlement).

Un reçu sous forme de quittance ordinaire était délivré le cas échéant par le caissier afin de permettre au déclarant ayant acquitté les droits en nature de retirer le restant de sa marchandise. Les marchandises prélevées dans ce cadre par les oumana devaient être déposées dans un local spécial ou, à défaut, dans un emplacement réservé à cet effet dans un magasin. Elles étaient vendues par les oumana soit de gré à gré soit aux enchères publiques dans les plus brefs délais. Le produit de la vente était inscrit sur le registre (modèle 11) par l’amine vendeur.

Cette procédure de paiement des droits et taxes en nature est une pratique très ancienne des douanes marocaines qui a été maintenue jusqu’au début du XXème siècle. Dans un rapport sur le commerce au port de Mogador établi le 14 août 1884 par le négociant Mahon, ce dernier confirme la possibilité pour le déclarant de régler les droits et taxes en nature à la douane en cas de contestation de la valeur. Ainsi, nous informait-il :

“Sur toutes les marchandises qui entrent au Maroc, le Sultan prélève un droit de 10 %, calculé sur la valeur de ces mêmes marchandises. En cas de contestation, sur ladite valeur on est toujours libre de payer le 10 % en nature. Tous les produits du pays ne sont exportés qu’après avoir acquitté les droits respectifs auxquels ils sont soumis d’après un tarif déterminé. Le numéraire qui sort ne paye aucune taxe”.

4/ Règlement des litiges :

Deux procédures de règlement des litiges étaient introduites dans le contentieux douanier selon le statut de l’auteur de l’infraction douanière. Lorsque le délinquant était sujet ou protégé étranger, l’amine ne pouvait que signaler le cas aux autorités diplomatiques ou consulaires dont l’auteur de l’infraction était justiciable. Par contre, s’il s’agissait d’un sujet marocain, ce dernier était déféré au Pacha de la localité.

Dans tous les cas, l’amine devait faire suivre par un délégué auprès de la juridiction compétente, la procédure de constatation de l’infraction douanière et des poursuites contentieuses. Parallèlement, les oumana étaient tenus de signaler les infractions constatées au délégué de ”l’Administration Générale des Douanes” ainsi que les suites qui leur étaient réservées.

5/ Mise à disposition du public des nouveaux imprimés :

Pour faciliter le nouveau principe de souscription d’une déclaration écrite par le redevable qui fut apparemment une innovation à cette époque, le nouveau règlement préconisait que les formules imprimés de déclaration, passavant, permis de transbordement étaient tenues à la disposition des déclarants par le commis chargé de l’enregistrement des déclarations ou par le caissier au prix de 0,05 hassani. Les oumana étaient alimentés de ces différents imprimés par l’Administration Centrale. Cette procédure fut pratiquée jusqu’à la publication de l’arrêté viziriel conférant aux déclarants la faculté de fournir eux mêmes les formules de déclaration en douane.

 

NAISSANCE DE NOUVEAUX RÉGIMES

DE DÉDOUANEMENT DE MARCHANDISES

Le système fiscal marocain s’est caractérisé à travers son histoire par l’existence d’une double fiscalité traditionnelle. D’une part, les douanes d’origine conventionnelle depuis les Idrissides, d’autre part les impôts dits de souveraineté de source administrative. A noter que le seul impôt, valable au regard de la loi musulmane en général, est d’essence religieuse. Son produit, l’achour, est affecté spécialement à un but pieux ou charitable. Les autres impôts en terre d’Islam en seraient des adaptations hétérodoxes ou des impôts créés à la seule fin de pourvoir aux besoins d’un budget qui était toujours en déficit. Ces impôts furent appelés tantôt impôts de souveraineté tantôt impôts administratifs. Au Maroc, c’était le cas des Moukous et Moustafad, dont la reconnaissance de principe par les puissances commerciales européennes, suivie d’une application concertée entre elles et le makhzen, permit de maintenir cette forme traditionnelle d’imposition dans des règlements internationaux.

Durant la période du protectorat, la douane a été parmi les structures du système de la fiscalité traditionnelle du makhzen qui préserva son existence. Elle saura en outre, s’adapter aux nouvelles exigence du libéralisme économique et du sens de la modernité qui prévalurent au début du XXè m e siècle. Ainsi, le nouveau régime douanier marocain a été dominé par le principe de l’égalité économique qui impliquait :

- l’impossibilité, pour le Maroc, d’établir des tarifs discriminatoires entre les puissances ;

- l’obligation de ne pas dépasser un taux de droit de douane maximum de 10 % ad valorem à l’importation majoré de la taxe spéciale de 2,5 %.

Cependant, cette règle de l’égalité ne jouait pas pour les taxes à l’exportation, que le législateur marocain avait la faculté d’adapter selon les exigences économiques du pays.

Dans ces conditions ce furent les droits de douane qui présentèrent le plus d’importance. De même, les prohibitions à l’importation furent édictées, d’une manière générale, pour des raisons de protection sanitaire ou plus largement sociale, d’une manière occasionnelle, pour protéger une activité marocaine directement menacée par la concurrence étrangère.

Toutefois, la modernisation accélérée du système douanier marocain avait très vite poussé le législateur marocain, à travers d’autres procédés, à favoriser le développement économique du pays. S’inspirant de la législation française du début du XIXème siècle qui instaura les régimes suspensifs en douane, de nouveaux régimes douaniers ont été mis en place pour développer les transactions commerciales et activer l’industrialisation progressive du Maroc. Des dispositions particulières ont été édictées pour permettre le remboursement, sous forme de drawback, des droits perçus sur les produits étrangers entrant dans la fabrication de certains produits exportés. Le régime de l’admission temporaire, instauré en France, par l’article 5 de la loi du 5 Juillet 1836 sur les douanes, a été instauré au Maroc par le dahir du 12 Juin 1922 et réglementé par l’arrêté visiriel du 13 Juin de la même année.

Un régime spécial, rappelant le système de l’admission temporaire, avait été également prévu en faveur des thés faisant l’objet de certaines manipulations de triage et de conditionnement en paquet en vue de leur exportation. Sur l’autorisation préalable de la direction des finances, des denrées pouvaient être importées avec consignation des taxes intérieures de consommation, les autres droits étant perçus à titre définitif.

Le régime de l’entrepôt, qui fit bénéficier les marchandises de privilège fiscal avait été institué par dahir du 20 Avril 1921. Une autre loi du 27 avril 1927 instaura le régime de l’entrepôt fictif dans la zone internationale de Tanger.

Cette nouvelle législation inspirée de la réforme du régime des entrepôts appliquée selon la loi du 29 Décembre 1917 en France, permettait de distinguer deux catégories d’entrepôts en douane : L’entrepôt réel et l’entrepôt fictif.

L’entrepôt réel était concédé par arrêté visiriel après avis des chambres de commerce intéressées. L’entrepôt fictif était constitué dans les magasins même de commerce sans la condition de réexpédier la marchandise ou de payer les droits au moment où elle sera livrée à la consommation locale. Des entrepôts ”spéciaux” d’huiles minérales et de carburant avaient été crées également, en vue de l’avitaillement des bateaux de pêches, des navires de plaisance et des aéronefs.

Avec la publication du dahir du 28 Juillet 19315 était apparu le nouveau régime du drawback qui permettait aux exportateurs le remboursement d’après des taux forfaitaires, des droits de douane, de la taxe spéciale, et le cas échéant, des taxes intérieures de consommation acquittées à l’importation sur les matières premières d’origine étrangère ayant servi à la fabrication ou au conditionnement de certains produits ou emballages présentés pour l’exportation.

 



 

Enfin, il y a lieu de citer la naissance par dahir du 5 Juin 1936 du régime douanier du transit en faveur des marchandises, entrant par la frontière de mer ou de terre, pour sortir, sans emprunt de la mer, par une autre frontière de mer ou de terre.

L’institution de ces régimes économiques en douane était conçue pour le développement industriel du Maroc. Mais les industriels avaient tout de suite reproché à l’administration douanière sa position orthodoxe en la matière. Le comportement réservé de la douane était en fait justifié par le caractère fiscal du tarif douanier. Mais les chambres de commerce et d’industrie n’avaient pas manqué de formuler des réclamations contre le pouvoir exclusif de l’administration des douanes.

Dans ce contexte, l’administration du protectorat avait été amenée à décider de soumettre les demandes de bénéfice du régime de l’admission temporaire pour examen à la fois à la direction du commerce, de l’agriculture ainsi qu’à tous les départements techniques intéressés. Lorsque les directions techniques sollicitées étaient du même avis que la douane, la demande était admise ou rejetée définitivement. Par contre, si un département s’avérait d’un avis différent, le dossier était soumis à l’appréciation du secrétaire général du protectorat pour arbitrage. Cette situation rappelle en effet, ce qui se passa en France après l’adoption de la loi du 5 Juillet 1836 sur l’admission temporaire en douane.

En effet la mise en place en France de ce nouveau régime douanier avait soulevé les protestations des industriels français qui y voyaient un affaiblissement de la protection étatique des secteurs productifs. Pour échapper à ces critiques, le gouvernement français adopta le 12 Janvier 1892 une nouvelle loi qui soumettait l’octroi du régime de l’admission temporaire à l’avis du comité consultatif des arts et manufactures.

Cette analogie dans l’évolution de la procédure d’octroi du régime est d’autant plus remarquable qu’en France, la réforme est intervenue parce que l’on faisait au gouvernement le grief d’accorder trop facilement l’admission temporaire, tandis qu’au Maroc la révision de la procédure se justifiait parce que l’on accusait la douane d’une grande rigidité.
 


 

 


 

 

3C.I.J Mémoires Affaires du Maroc. Affaires relatives aux droits des ressortissants des USAau Maroc – T. II p. 355.
4Etat journalier des recettes tenu quotidiennement par les oumana.
5Bulletin Officiel 1931, p. 938.