Nous avons constaté que depuis le XIIème siècle, la réglementation douanière avait connu une évolution sans précédent depuis que les Sultans des premières dynasties régnantes au Maroc avaient développé les échanges commerciaux réguliers avec les nations chrétiennes de la Méditerranée. Une structure organisée de personnel douanier a donc pu voir le jour dès cette époque. L'administration douanière a été ainsi une des premières structures de l'Etat qui étaient gérées d'une manière fonctionnelle et constante.

Bien que nous n'ayons pas d'études ou de documents précis sur l'organisation douanière ancienne, nous avons pu déceler à travers les traités et les témoignages sur l'activité du commerce extérieur, le rôle prépondérant du personnel douanier. Le responsable de la douane dans les ports était désigné sous l'appellation « Caïd adiwana » ou « mouchrif ». Les traités lui attribuaient de très larges pouvoirs, non seulement dans le domaine douanier mais également au plan commercial, financier et juridique.

Sous les Almohades, les «caïds adiwana» étaient coiffés par le «Raïs Adiouane» qui était le chef de l'administration fiscale. Dans une étude de l'organisation des finances au Maroc31 Michaux Bellaire décrit ce responsable comme un personnage qui appartenait à la cour du Sultan. Il dirigeait la perception des impôts y compris les droits de douane. Le «Raïs Adiouane» déposait les recettes dans une caisse centrale et les faisait inscrire sur un registre. Il contrôlait les écritures des douanes dans les ports. On le désignait également par le titre de “ Saheb Al Achghal ”. Les premiers responsables des douanes au Maroc connus selon nos investigations seraient :

- Le Caïd Mimoun : Cosignataire d'une convention commerciale avec la République de pise. Cet Amiral de la flotte Almohade aurait été chargé des fonctions douanières et serait le plus ancien responsable connu des douanees au Maroc.

- «Abou Sadad» qui a été directeur des douanes Almohades en 120732.

- «Abou Mohamed Ibnou Mekser» était un prince de la famille Almohade au pouvoir chargé particulièrement des questions douanières.

- «Ibn Halas» qui fut un célèbre et riche négociant de Valence a été nommé, par le Sultan Almohade Errachid, responsable des douanes de Sebta vers 123333. Il y fut un prestigieux et puissant directeur des douanes.

- «Saïd Agenouis» dit le génois fut désigné amine des douanes du port de Salé par le Sultan Moulay Ismaïl en 164734 - En 1672, Abdelhadi, de son vrai nom Pillet, un français converti à l'islam, fut également nommé amine des douanes du port de Rabat.

L'un des témoignages les plus anciens et les plus explicites que nous pouvons rapporter sur l'histoire des douanes en général et celle des oumana en particulier nous est livré par Georges Host, décédé en 1794 laissant derrière lui neuf enfants dont Christen Georg qui fut inspecteur des douanes à Copenhague. Contemporain du Sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah, G. Host était un agent de la compagnie danoise d'Afrique et Consul du Danemark au Maroc pendant près de neuf ans. A ce titre, il consigna dans ses mémoires plusieurs événements et faits qui se rapportaient à l'activité douanière. A travers son récit, on peut se rendre compte jusqu'à quel point la douane était non seulement un sujet de préoccupation du makhzen et du Sultan en personne mais également de l'ensemble du corps diplomatique accrédité au Maroc.

Avant son investiture en qualité de Sultan du Maroc en 1757 Sidi Mohamed Ben Abdallah, Gouverneur de Marrakech, Draâ et du Soudan augmenta en 1753 les droits de douane et organisa le commerce extérieur d'une manière plus rentable. Le 28 août 1755 il assigna à une amende de 30.000 piastres35, les commerçants chrétiens qui ne s'acquittaient pas des droits de douane dus au makhzen au port de Salé. En 1762, pour simplifier les opérations de perception des droits et taxes douaniers et éviter les détournements de ses droits, la gestion du port d'Agadir fut confiée à un certain Benyechou, moyennant 20.000 piastres. Ce dernier fit montre d'un abus de confiance vis-à-vis du makhzen qui ne manqua pas de le châtier sévèrement en lui coupant les deux mains.

Les douanes de Safi et de Salé étaient confiées à des négociants danois. Sidi Mohamed Ben Abdallah concéda le port de Tétouan à des anglais. Mais constatant que ces derniers s'intéressaient uniquement au dédouanement des produits alimentaires au détriment des autres marchandises, la ferme de la douane fut confiée au gouverneur de Gibraltar pour 27.000 piastres puis à un juif dénommé Bengrimo, pour 23.000 piastres. Ce dernier fut mystérieusement assassiné en 1763.

Par ailleurs, Abraham Bendellac36 agent consulaire intérimaire de Hollande à Tanger de 1820 à 1830 confirme dans ses mémoires l'importance du rang de l'amine des douanes dans la hiérarchie administrative.Personnage clé, en liaison fréquente et directe avec le Sultan, l'Amine principal de la douane était appelé souvent le fquih dans les correspondances makhzeniennes. Il était assisté d'un administrateur qui avait également le titre d'amine ou d'amine-adjoint. Les oumana étaient le plus souvent, d'éminents négociants. Ils furent souvent de grands voyageurs de commerce.

Un tableau inédit, consigné dans le journal de Ben Dellac, à la date de juillet 1820, évalue le degré d'importance dans la hiharchie diplomatique, de chaque agent du makhzen de Tanger à la valeur du cadeau consulaire qui lui aurait été attribué à l'occasion des fêtes religieuses du Mouloud, Aïd El Kébir et Aïd Seghir :

- «Gouverneur : tissu de soie, thé, sucre en pains équivalent 43 piastres ;

- Administrateur des Douanes : tissu de soie, thé, sucre en pains équivalent 24 piastres ;

- Mohtassib : tissu de soie, thé, sucre en pains équivalent 10 piastres ;

- 2 militaires de la douane : en nature ou en argent équivalent 2 piastres ;

- Capitaine de port : en nature ou en argent équivalent 1 piastre ;

- Capitaine de la garde de nuit: en nature ou en argent équivalent 1 piastre;

- Chef de la patrouille des gardes : en nature ou en argent équivalent 1 piastre».

Aux cadeaux «rituels» aux autorités de la ville, les consuls ajoutaient les offrandes pour la nomination d'un nouvel administrateur de la douane (50 à 100 piastres).

Les structures de l'Amana des douanes à Marrakech connurent sous le règne des Saâdiens (1510-1658) un essor sans précédent. L'activité commerciale florissante avec l'Europe et particulièrement avec l'Angleterre a fait de Safi le port le plus important de l'Empire à cette époque.

Pour mieux contenir et contrôler le grand flux des marchandises importées et qui étaient particulièrement destinées aux négociants de la capitale Marrakech, le makhzen y a édifié le plus important édifice des douanes. A côté du bureau habituel des douanes de la kasba, le Sultan Mohamed El Mehdi Acheikh ordonna en 1547 la construction sur l'actuelle place Jamâa Elafna d'un nouveau bâtiment de 23 entrepôts37 géré par la douane et soumis à la surveillance permanente du service. Les marchandises débarquées à Safi, étaient dès lors, acheminées depuis le Port de Safi sous escorte douanière pour accomplir les formalités de dédouanement dans les nouveaux bureaux. En 1624, le bâtiment fut transformé en foundouk réservé aux négociants européens. A la fin du règne des Saâdiens vers 1653, les formalités douanières n'étaient plus accomplies à Marrakech mais au Port de débarquement des marchandises à Safi. 

En 1886, les oumana des douanes d'Essaouira furent les premiers responsables de l'administration à rétablir l'autorité du makhzen sur le Port d'Essaouira après la seconde harka de Moulay El Hassan38. Daniel SCHROETER39 signale à ce sujet dans son étude sur le commerce à Essaouira de 1846 à 1886 que le «Port du Sultan était contrôlé d'une manière ferme et exemplaire par les fonctionnaires des douanes du makhzen». L'auteur nous apporte également une intéressante description de l'organisation douanière dans ce Port.

«A la droite du Port se trouvaient des entrepôts des douanes où sont stockées les marchandises reçues par les Amine au titre de paiement des droits et taxes. D'autres entrepôts étaient réservés aux marchandises en instance d'accomplir les formalités de dédouanement. Le bureau de perception des droits et taxes où siégeaient les Amine s'appelait «Dar al Aachar» (maison de perception des dix pour cent)».

En 1885, l'Amine Haj Mohamed Guennoune proposa au Sultan la construction d'un nouveau bâtiment de Dar Al Aachar à proximité des quais pour éviter les opérations de soustractions de marchandises au moment de leur conduite au bureau de douane pour vérification et perception des droits et taxes. 

Voinot, capitaine de l'armée française en mission dans l'Oriental, publia dans le bulletin de la société de Géographie et d'Archéologie de la Province d'Oran (1911 - 1912 ) un précieux témoignage sur le fonctionnement de l'Amana des douanes à Oujda à la veille du protectorat.

Jusqu'en 1907, les magasins de la douane se trouvaient près de la kasba. Un amine y avait son bureau et y percevait les droits, ses adoul tenaient la comptabilité et des man?uvres manipulaient les marchandises. Les bêtes de somme portant des marchandises soumises aux  droits de douane étaient conduits jusqu'au bureau par des «Assas»40 qui se tenaient aux portes de la ville. C'était au bureau seulement que ces marchandises étaient taxées. La surveillance extérieure était assurée par des cavaliers41.
 


 



Activité douanière au port de Safi

 




31Michaux Bellaire : Archive marocaines - Tome XI
32De mas latries opcite
33Halima Ferhat : opcite
34Chastel Robert : Rabat Salé vingt siecle de l'oued Bourgreg
35Equivalent à 5 FF environ.
36J. Louis Miège ,Chroniques de Tanger 1820 – 1830 , Journal de Bendelac -- édition LAPORTE.
37– Ibrahim Harakate : Le Maroc à travers l'histoire .
38– Khalid Ben Sghir : Toujar Assaouira .
39– Daniel Tshocter : Merchants of Essaouira.
40Gardiens des douanes.
41La douane disposait dans l'Oriental de brigades montées.