Dans son ouvrage ”Le Maroc à travers l’histoire” le professeur Ibrahim Harakate qualifiait le Maroc comme un pays qui fait l’histoire mais constate-t-il son peuple ne l’a pas encore écrite. Dans sa préface de la thèse de Mohamed Lahbabi, intitulée ”le gouvernement marocain à l’aube du XXème siècle”, Mehdi Benbarka constate que ”quand un peuple commence à parler de lui-même et de son passé, c’est qu’il est majeur”.

Depuis cette date, la recherche historique au Maroc a connu un essor continu, au niveau de l’université marocaine et au niveau des écrits élaborés par des lettrés indépendants. En parcourant les travaux effectués au sein de l’université, on peut constater que le sujet de la douane a été toujours présent, mais il n’a jamais fait l’objet d’une étude pointue et détaillée, pour tracer l’évolution de cette institution à travers l’histoire du Maroc.

Partant de ces deux constats, on peut dire que l’évolution de la douane, en tant qu’institution de proue au sein des rouages administratifs de l’État marocain, constitue un élément moteur d’une grande  importance dans l’histoire du Maroc. Tracer l’évolution historique de la douane ne serait-il pas uniquement aujourd’hui un signe de maturité, mais un acte qui viendrait enrichir les diverses actions menées par l’Adminstration des Douanes et Impôts Indirects dans le cadre de sa politique de contact avec le monde extérieur en général et le milieu de l’entreprise en particulier.

Il va de soi que l’histoire des Douanes reste étroitement liée à l’histoire générale du Maroc. Au gré des époques, son champ d’opération s’est déplacé et son histoire, dans les marges de l’histoire économique et politique du pays a été particulièrement singulière et étonnante. Cet aspect historique de l’institution douanière a été remarquablement souligné par Gabriel Ardant auteur d’un ouvrage de référence sur l’histoire de l’impôt :

”L’impôt est une technique, une des techniques de la vie en société, mais son histoire est tout autre chose que l’énumération des divers procédés inventés par les gouvernements pour s’approprier les ressources des contribuables. L’histoire de l’impôt est intimement liée à l’histoire générale, à l’histoire économique certes, mais aussi à l’histoire politique. Il est peu d’institutions qui aient plus profondément marqué la vie des hommes, leurs relations et leurs progrès”8.

Est-ce une aventure pour un chercheur que de vouloir cerner l’histoire d’une institution économique, à travers une période de plus de vingt siècles ? ! On peut répondre par l’affirmative lorsqu’on sait que tout ce qui a été écrit sur l’histoire de la douane au Maroc jusqu’à présent n’était en fait que des études éparses dans le temps et dans l’espace.

Avec l’avènement du XXI è m e siècle, et avec l’intensification des échanges au niveau planétaire, il est possible qu’une partie non négligeable de lecteurs soit intéressée par une étude assez homogène qui porterait un p r e m i e r é c l a i r a g e sur l’évolution de l’institution douanière à travers l’histoire du Maroc, depuis l’antiquité.

La douane fut de tout temps et à toute époque une des principales structures dans les rouages du makhzen qui illustrèrent le particularisme et l’homogénéité millénaire du pays. Écrire l’histoire complète de la douane marocaine pendant une si longue période serait-il une entreprise prétentieuse et trop risquée? A notre connaissance, aucun travail n’a été consacré spécialement à ce sujet spécifique et très technique. La disparité de la documentation n’est pas moindre que son caractère lacunaire. L’histoire des douanes reste à faire. Elle exigerait une étude comparée, qui illustrerait aussi bien les origines de l’État moderne avec son héritage antique et féodal, que la formation des structures économiques. Disparates, malgré leurs analogies, les documents fiscaux sont inévitablement incomplets9

Ayant laissé pour compte l’utilisation des données si riches et si importantes que les écrits manuscrits contiennent et qui faute de temps nécessitent une étude à part, il a fallu recourir à un ensemble très diversifié de sources, permettant une connaissance claire et entièrement reconstituée, des réalités historiques relatives à la situation économique et commerciale du Maroc durant plusieurs siècles.

A travers ce travail de vulgarisation qui, nous l’espérons, serait une introduction à des travaux plus élaborés et plus concis sur le sujet, l’Administration des Douanes et Impôts Indirects souhaite contribuer à l’étude de l’histoire économique et fiscale de notre pays.

Omniprésente par l’étendue de ses fonctions et la diversité de ses actions, la douane fut de tout temps au centre des structures gouvernementales les plus anciennes au Maroc. Elle fut dès le XIème siècle l’un des pivots de l’organisation administrative du Makhzen. De nos jours, elle continue non seulement à intéresser tout le monde, mais elle a tendance à devenir un centre d’intérêt. Elle préoccupe le pouvoir politique, intéresse les opérateurs économiques et ne laisse pas le citoyen indifférent10.

En dépit de ce constant intérêt, la douane reste paradoxalement comme dans la plupart des pays de la planète l’une des institutions administratives les moins connues et peut être les plus mystérieuses. Ce paradoxe peut s’expliquer par le fait que le droit douanier est un droit complexe, rigoureux et mouvant.

Complexe dans la mesure où il instaure des règles juridiques spécifiques et parfois tatillonnes. Rigoureux, car ses techniques sont d’une telle précision qu’aucune marge d’interprétation n’est parfois permise. Mouvant, car il fait l’objet de continuelles adaptations pour tenir compte de l’évolution économique, politique et sociale, tant au niveau national qu’international. 

C’est, en effet, à ce niveau que l’historique des évènements à caractère douanier revêt un intérêt capital, car l’institution douanière constitue un élément moteur d’avant garde au sein de l’histoire de chaque pays. Bien que nous soyons en manque d’informations, dû à l’insuffisance des témoignages écrits, naturellement plus rares pour les périodes anciennes ; on ne peut nier la place prépondérante des régimes et systèmes douaniers et fiscaux dans l’histoire des nations. 

A l’étude, il apparaît que les systèmes fiscaux conservent beaucoup plus que tout autre système d’administration et de gestion, des traces du passé qu’on ne pourrait l’imaginer. En France par exemple, le mécanisme actuel des impôts indirects reproduit les caractères qui lui furent donnés par la ”Ferme Générale”. L’impôt sur le revenu, créé par l’Angleterre lors des guerres de la révolution et de l’empire, en garde les aspects principaux.

D’ailleurs en Angleterre, le mot douane (customs, en anglais) aurait pour origine la lutte qui opposait la monarchie anglaise au Parlement. Le Roi d’Angleterre l’emporta en affirmant que la coutume (custom) permettait à la couronne de prélever des droits sur les opérations commerciales.

Pour le Maroc, l’intérêt que présente une étude des données générales de la législation douanière proviendrait d’abord du fait que le makhzen avait toujours possédé un système fiscal qui lui était presque spécifique. Parmi ses caractères originaux, il s’en trouve un qui est lié aux obligations internationales très particulières que le Maroc avait contractées au cours de son histoire à l’égard des différents États étrangers. Ce particularisme concerne non seulement la structure du système de perception de l’impôt, mais également l’exercice du pouvoir fiscal tel que le régime des oumana des douanes11 par exemple. 

En ce sens, comme le souligne Ardant12, ”la connaissance de l’histoire permet de s’affranchir du poids de l’histoire”.

Cet intérêt est d’autant plus important que très souvent ceux qui ont écrit l’histoire n’ont pas toujours associé l’aspect politique et civilisationnel à l’aspect économique. En effet, l’évolution du système douanier au sein de l’histoire d’une nation permet, en partie, de mesurer le degré de prospérité et de progrès atteint par son peuple. Il faut reconnaître que l’écriture, à travers les âges, de l’histoire des douanes au Maroc est une tâche ardue et si difficile surtout que les archives et les données en relation directe avec le sujet sont soit inexistantes pour certaines périodes, soit rares, lacunaires, incomplètes et dispersées pour d’autres. Il serait donc inutile de dissimuler les difficultés auxquelles se heurte l’étude de tout système fiscal. Ainsi, en ce qui concerne notre sujet, le chercheur peut conclure avec une certaine amertume que nous savons fort peu de choses sur la période pré-Alaouite tant les sources sont rares et difficiles à exploiter.

Dans ce contexte, nous n’avons pas la prétention d’écrire une histoire systématique et approfondie des douanes au Maroc, qui reste et demeure un grand chantier à l’ombre de notre histoire. Les documents sources manuscrits, que nous n’avons pas encore pu recenser ou consulter, constituent à cet égard une source inestimable pour la recherche. Mais nous essayerons de nous limiter dans ce travail de vulgarisation à tracer, en se basant sur quelques ouvrages de référence, les grands axes de l’évolution de cette administration pour apprécier ses origines lointaines, l’originalité de son organisation et la diversité de ses missions.

Il y a lieu de constater qu’au Maroc, comme dans la plupart des pays du globe, l’une des principales difficultés auxquelles la douane a dû faire face en tout temps, consistait moins à remplir une multitude de missions qu’à s’adapter constamment à l’évolution des conjonctures nationales et internationales tant telle ou telle de ces missions se trouvent, selon les circonstances, tantôt élevées au rang de priorité nationale, tantôt, tout simplement marginalisées.

Originale par sa polyvalence, la douane l’est encore par son organisation . De première institution du Makhzen, au régime des oumana, la restructuration des douanes modernes fut l’une des conséquences multiples de l’acte d’Algésiras. Après l’indépendance, la douane, au Maroc, connut une série de réformes dont la plus importante est celle de sa modernisation et son adaptation aux règles instituées par le nouvel ordre économique mondial. Elle devient de plus en plus, comme elle le fut à diverses étapes décisives de l’histoire du Maroc, un véritable levier de la croissance, en raison de l’impact de l’opération de dédouanement sur le flux des échanges commerciaux.

Pour mieux comprendre et appréhender le sens de ces profondes mutations que connaît cette entité particulière de la fonction publique marocaine, il serait opportun pour le douanier, l’opérateur du commerce international, le chercheur ou tout simplement le citoyen du grand public de s’éclairer sur les

grandes périodes de l’histoire de cette institution. C’est dans ce contexte que nous nous proposons de tracer l’évolution historique de l’institution douanière au Maroc en suivant la chronologie de l’histoire millénaire de notre pays. Après avoir identifié les origines lointaines de l’organisation douanière au

Maroc, nous essayerons aussi de décrire les principales étapes de restructuration de ce grand service financier de l’État. Enfin, nous ne pourrons pas achever ce travail de vulgarisation sur les origines de la douane au Maroc sans évoquer en détail l’évolution et les caractéristiques de l’organisation et de la législation douanières. Cette évolution s’illustrera, comme les faits historiques que nous relaterons le confirment, par un perpétuel accompagnement de l’intense activité du commerce extérieur marocain à travers ses frontières terrestres et surtout maritimes.


8 Gabriel Ardant, Histoire de l’impôt depuis l’antiquité au XX ème siècle – Fayard.9 Henri Bautier, conservateur aux archives nationale. Sources pour l’histoire du commerce maritime en Méditerranée du XIIème au XVème siècle.
10 My Larbi ELALAOUI: Le droit douanier marocain.
11 Voir l’organisation traditionnelle des douanes au Maroc – II ème partie.
12 Ardant, op-cit., Histoire de l’impôt - édition Fayard.